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Théorie de la Dominance: Science ou fiction?

Dernière mise à jour : 12 déc. 2023

La Théorie de la Dominance, fréquemment utilisé dans le domaine de l'éducation canine, repose sur une hypothèse séduisante mais trompeuse : nos chiens, en tant que descendants des loups, devraient être éduqués selon les comportements attribués aux loups alpha. Cette idée, bien que logique en surface et populaire auprès de certains propriétaires de chiens et professionnels du monde canin masque en réalité un malentendu profond. Ce concept, et les les pratiques recommandées, n'influencent pas seulement le bien-être de nos compagnons à quatre pattes, mais ils affectent aussi la qualité de notre relation avec eux et peut même compromettre notre sécurité.


Image créée à l'aide de DALL·E d'OpenAI
Exploration de la Théorie de la Dominance : Fondements et limitations

La théorie de la dominance dans le comportement des chiens domestiques s'est initialement appuyée sur des études réalisées sur des loups en captivité. Dans ces études, des groupes de loups, composés d'individus non apparentés et confinés dans des espaces restreints, manifestaient des structures hiérarchiques rigides et pyramidales, dirigées par un 'loup alpha' caractérisé par son agressivité et son comportement dominateur (Bradshaw et al., 2009). En transposant cette théorie aux chiens domestiques, les experts ont suggéré que les relations entre les humains et leurs chiens devraient suivre une dynamique semblable, promouvant la mise en place d'une hiérarchie stricte et permanente à travers des règles de réduction de statut et des pratiques d'affirmation de dominance telles que le renversement sur le dos ou la saisie du museau, afin d'établir une cohabitation sereine (Miklosi, 2015).


Cependant, cette approche néglige plusieurs points cruciaux : premièrement, les loups sauvages vivent en réalité en unités familiales, guidées par un couple reproducteur, où les interactions de dominance et d'agression sont rares. Ces meutes privilégient la pratique de comportements de cohésion plutôt que l'agression dans leurs interactions (Bradshaw et al., 2009).

De plus, l'application de ces résultats d'études sur les loups aux chiens domestiques ignore les changements comportementaux et physiologiques significatifs qu'ils ont subis à travers la domestication et la sélection, favorisant la sociabilité et la coopération avec les humains (Miklosi, 2015). Malheureusement, des pratiques d'élevage récentes, telles que celles pour les combats de chiens ou la sélection basée uniquement sur l'esthétique, ont perturbé cette évolution vers des chiens toujours plus sociables et adaptés à la vie en société humaine. Cette domestication a d'ailleurs profondément modifié le système social du chien. Les chiens errants forment des groupes structurés de manière temporaire, qui se modifient selon le taux de conflit, donc où les interactions agressives sont rares et réservées à des situations de concurrence directe pour des ressources limitées (Bradshaw et al., 2009).


En outre, l'utilisation de la notion de dominance est souvent mal employée. En effet, la dominance se définit comme la qualité d'une interaction conflictuelle dans un contexte donné, où un individu se soumet à l'autre afin de désamorcer le conflit, évitant ainsi l'affrontement pour l'accès à une ressource (Bradshaw et al., 2009). En l'absence de conflit, il n'est donc pas approprié de parler de relation de dominance. 'Dominant' n'est donc pas un trait de caractère permanent, et 'dominer' n'est pas l'objectif des interactions. L'idée d'un 'alpha' inné a d'ailleurs été réfutée (Bradshaw et al., 2009). Ce qui déterminera lequel des individus sera dominant ou dominé dans une interaction conflictuelle précise dépendra de l'état physique et mental de l'individu à l'instant T, ainsi que de la valeur de la ressource pour chaque individu et de ce que le comportement de l'autre laisse présager quant à une possible escalade vers l'agression (Miklosi, 2015).


Les répercussions de la Théorie de la Dominance sur nos chiens et nous

Malheureusement, la théorie de la dominance a largement influencé notre culture et s'est reflétée dans de nombreux conseils d'éducation canine. Des préconisations telles que l'humain doit:

  • "manger avant son chien",

  • "passer avant son chien dans les passages",

  • "interdire au chien l'accès au canapé ou au lit",

  • "ne jamais répondre aux sollicitations du chien, mais toujours initier les interactions"

sont couramment entendues et le non-respect régulièrement cité comme la cause des comportements non souhaités chez le chien. Ces conseils se basent sur l'établissement d'une pseudo-supériorité humaine sur l'animal, le plus souvent par la force, la peur ou la violence pour établir la "soumission" et "obéissance" qui seraient nécessaires et naturelles  (Bradshaw et al., 2009).


De plus, l'étiquette de chien "dominant" est fréquemment utilisée pour expliquer des comportements problématiques chez les chiens, tels que "il est agressif envers les autres chiens", "tire en laisse", "grogne lorsqu'on le fait descendre du canapé", en l'attribuant au fait qu'il est "dominant" ou souhaite "dominer". Malheureusement, ceux qui emploient ce terme de 'dominant' ne s'attardent souvent pas à rechercher les causes réelles de ces comportements:

  • Un chien qui grogne sur les autres pourrait le faire à cause d'expériences passées désagréables qui ont engendré de la peur et une envie de prise de distance.

  • Un chien qui tire en laisse pourrait simplement manquer d'exercice physique et mental quotidien.

  • Un chien qui grogne quand on le fait descendre du canapé pourrait réagir ainsi parce que la traction sur son collier lui cause de la douleur, due à une arthrose non diagnostiquée.

Les conseils donnés en réponse se basent souvent sur l'établissement de règles arbitraires afin de réduire le pseudo-statut du chien et l'utilisation de punitions pour éliminer ces comportements, sans traiter leurs causes profondes. Cela entraîne fréquemment une augmentation du mal-être du chien, exacerbant ainsi les problèmes au lieu de les résoudre.


En se basant sur la notion de dominance pour établir les règles de vie au sein du foyer, expliquer les comportements de son chien et résoudre des problèmes comportementaux, on forge une relation fondée sur une mauvaise compréhension de la dynamique sociale naturelle des chiens, de leurs comportements et besoins. L'approche, souvent axée sur la coercition, engendre divers risques, tels que la confusion, la peur et l'anxiété chez nos compagnons canins. Cela érode leur confiance envers les humains et peut potentiellement mener à des comportements agressifs, compromettant ainsi la sécurité au sein du foyer (Bradshaw et al., 2009). En adoptant une telle perspective, non seulement on ne répond pas correctement aux besoins réels des chiens, mais on crée également un environnement propice aux malentendus et aux réactions indésirables.


Redéfinir la relation entre l'homme et le chien

Plutôt que de s'appuyer sur la Théorie de la Dominance, des organisations de renom telles que la Société Américaine des Comportementalistes Vétérinaires (American Veterinary Society of Animal Behavior, 2008), l'Association Internationale des Consultants en Comportement Animal (International Association of Animal Behavior Consultants, 2019), et l'Association des Educateurs Professionnels Canins (Association of Professional Dog Trainers, 2019) encouragent une relation caractérisée par la compréhension mutuelle, la coopération et l'utilisation de méthodes basées sur la science et positives (renforcement positif, contre-conditionnement, désensibilisation...), en prenant en compte les besoins et comportements naturels des chiens.

Dans cette optique, les règles de vie au sein du foyer sont établies en tenant compte d'un équilibre entre les préférences des membres de la famille et les besoins du chien. Les comportements sont analysés en fonction de leur véritable objectif, et les problèmes comportementaux sont abordés en s'attaquant à leurs causes profondes, visant ainsi à améliorer la qualité de vie du chien. En mettant l'accent sur des interactions positives et éducatives, on cultive une relation solide basée sur la confiance, bénéfique tant pour le chien que pour les humains. Cette évolution dans l'approche de l'éducation canine est comparable au mouvement qui s'oppose à l'utilisation de la violence comme moyen de contrôle ou de discipline dans les relations conjugales et parentales au cours des cinquante dernières années.



En résumé, il est temps de tourner la page sur la Théorie de la Dominance, une approche désormais reconnue comme obsolète et inadéquate pour comprendre et éduquer nos chiens. Adoptons une vision plus éclairée, qui respecte la vraie nature de nos compagnons canins et renforce le lien que nous partageons avec eux.

Guidés par les dernières recherches en comportement animal, nous pouvons construire des relations basées sur le respect mutuel, la compréhension et une communication positive. Cette nouvelle ère de coexistence harmonieuse avec nos chiens nous invite à redéfinir notre rôle non pas comme dominants ou chefs, mais comme guides bienveillants.




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